Critique de Catherine Polge paru dans Vivantmag suite à la sortie de création de "Oui" au Théâtre Pierre Tabard à Montpellier le 23 avril 2014

Kader Roubahie, qui s'intéresse aux textes forts sur notre monde contemporain, met en scène ici la dernière pièce de Gabriel Arout, considérée comme un testament humaniste.

Salle comble (une centaine de personnes) pour cette première au théâtre Pierre Tabard. Ce "oui" c’est la reconnaissance de l’être humain chez l’autre, au-delà des différences qui sécrètent si facilement agressivité, discriminations et haines. C’est un "oui" à la solidarité vers laquelle vont s’acheminer douloureusement deux prisonniers condamnés à mort que tout oppose : Max, ancien SA, cynique, castré par les nazis et Raphaël, juif, tranquille, et grand séducteur. Ils doivent être exécutés demain, à moins que l'un ne tue l'autre cette nuit et ait ainsi la vie sauve. Ils se jaugent, se battent, s’exaspèrent mutuellement. Ce sont les dernières cigarettes de Raphaël qui ouvrent la voie à une communication entre hommes. La violence reflue par vagues, laissant la place à de la nostalgie et à des souvenirs. De manière hésitante et pudique, ils se reconnaissent dans leur humanité commune et fraternisent. Leur vie s’efface dans la nuit alors qu’ils s’étreignent, réunis par la même peur et la même colère.

Au fond de leur cachot plongé dans une pénombre glauque, Max et Raphaël ne sont que deux silhouettes dans une lumière blafarde. Alors le poids des mouvements et des paroles prend une ampleur et une force d’où suinte l’angoisse. A cette atmosphère sombre et froide que troue ponctuellement un faisceau lumineux envoyé d'en-haut, s'ajoutent de lourds sons métalliques. Cette irruption épisodique d'un extérieur menaçant ajoute à l'horreur de la situation et contribue à rapprocher les deux hommes dans une colère partagée. Les comédiens jouent sur des registres différents : désir de calme chez Raphaël, volonté de provocation exaspérée chez Max. Et chacun poursuit sa quête et affirme son personnage social, par la voix et la gestuelle. Puis les deux prisonniers évoluent. Par des accélérations brutales, des ralentissements ou une immobilité soudaine, les corps de J. Abadie et E. Vivien découpent dans la pénombre la violence, la crainte, les replis et les tentatives d’approche. Les subtiles variations d'éclairage et le point incandescent de la dernière cigarette rythment ce pas de deux tragique. Dans le huis-clos de cette "nuit infernale", le silence du cachot est presque perceptible, la peur monte avec les bruits extérieurs et la moindre inflexion de voix transmet des émotions décuplées. Le jeu nuancé des comédiens qui communiquent le moindre sursaut d'émotion, jusqu'à un peu de tendresse, donne beaucoup de chair à cette relation étrange. Max et Raphaël sont attachants et leur présence persiste longtemps après le spectacle. Mise en scène, jeu, univers visuel et sonore s'associent pour une très belle réussite. En dépit de la cruauté de la situation, il se dégage beaucoup d’optimisme de l'évolution de cet extraordinaire duo.

 

Ce magnifique spectacle dépasse son inscription temporelle dans la guerre de 39-45, pour pointer l’absurdité de la haine que l’être humain peut s'ingénier à développer envers son "semblable". Nécessité de se débarrasser des oripeaux des personnages sociaux pour aller vers l’autre, c’est ce que transmettent les derniers mots de Max et Raphaël : "dignité" et "parole".  Un très beau spectacle à tous points de vue, idéaliste certes, mais peut-être n'est-ce pas inutile ?

Catherine Polge