Critique, parue dans le "Progrès du Dimanche", de la représentation du "Silence de la mer" du vendredi 4 novembre 2011 au Théâtre d'Yssingeaux (Haute-Loire, région Auvergne)

2011_11 Le "Silence de la mer" à Yssinge
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Critique, parue dans "Le Progrès.fr/Art et culture, de la de la représentation du "Silence de la mer" du jeudi 3 novembre 2011 au Théâtre d'Yssingeaux (Haute-Loire, région Auvergne)

"Le Silence de la mer": classique mais efficace à en rester sans voix.

Trois comédiens se partagent la scène, dans le décor chaleureux d’une salle à manger où le bois domine.
Mais la parole ne revient qu’à un seul d’entre eux. Car Le Silence de la mer, l’implacable nouvelle de Vercors, adaptée par l’auteur lui-même pour le théâtre, met en lice des personnages, saisis sous l’Occupation, dans une situation impossible.
L’histoire est celle de Werner von Ebrennac, incarné par Joël Abadie, impressionnant dans ce seul en scène au cœur d’un trio. Cet officier allemand réquisitionne une chambre dans une maison de la France profonde occupée.
Par patriotisme, les habitants, la nièce et son oncle, témoignent de leur intransigeance en s’en tenant à un silence farouche.
Leur mutisme signe une forme de résistance à l’envahisseur. Le soldat ne cesse de parler de lui devant ces êtres réduits volontairement au silence. La nièce et l’oncle découvrent qu’il n’est pas le bourreau supposé, qu’il est épris de culture française. Comme eux, il aime lire et composer de la musique.

Rester silencieux devient alors de plus en plus ardu. Sans jamais céder, le dialogue passe par le regard. On comprend très vite, par les gestes de la nièce, l’amour naissant qu’elle ressent pour Werner. Cette attirance se confirme. Mais cet amour restera à jamais inassouvi, parce que dramatiquement impossible.
Serge Dekramer prend le parti d’une économie de mise en scène pour permettre une écoute totale d’un récit qui est une métaphore de la condition de l’homme face à la guerre. Un beau texte sur l’engagement à conseiller aux adolescents.

Fabienne Mercier

 

Critique, parue sur le site Un Fauteuil Pour l'Orchestre, de la représentation du "Silence de la mer" du dimanche 9 octobre 2011 au Théâtre du Nord-Ouest

Imaginez la France sous l’occupation allemande. Vous vivez dans une simple demeure familiale, dans la campagne française. Un jour, un officier allemand (Werner Von Ebrennac) réquisitionne une de vos chambres. Que faîtes-vous


« Un vieil homme digne et une demoiselle silencieuse »
Quand Vercors a imaginé cette histoire, en 1941, non seulement il fit acte de courage et d’une forme magnifique de résistances littéraire et intellectuelle, mais il fit preuve d’une réelle tolérance et d’une grande foi en l’humanité. Alors que le nazi, l’envahisseur, est perçu aujourd’hui comme le monstre sans coeur, Vercors dépeint les traits d’un homme passionné, cultivé, amoureux, naïf, et qui sera lui-même fait prisonnier de son propre patriotisme. Est-on libres de choisir sa destinée, quand son propre pays nous montre le chemin ? L’exemple interroge, soumet au lecteur ou au spectateur une autre version de l’histoire, une version où, l’envahisseur, avant d’être un monstre, était un homme.
« Il faudra vaincre ce silence. Il faudra vaincre le silence de la France. Aber das gefällt mir. Cela me plaît »

Et quand cet homme débarque dans cette maison, habitée par l’oncle et sa
nièce, c’est le début de pleins d’histoires : de haine, de résistance, de silence, de passion, de respect et d’amour. Complices et résistants, l’oncle et sa nièce, pour marquer leur opposition, vont décider de l’accueillir dans l’indifférence et le silence. Mais au lieu de voir arriver un rustre sans coeur en
leur demeure, ils vont héberger un homme fougueux, beau, passionné, artiste et courageux. Parce que face au mutisme de ses « hôtes », Werner éprouve l’envie oppressante de raconter sa vie, de se mettre à nu, de partager sa culture, de leur jouer de la musique, de leur lire des livres qu’il aime tant. Tant et si bien qu’un amour indicible va naître entre la nièce et lui. Tant et si bien que le vieil homme, jadis convaincu, va éprouver du respect pour le soldat et une réelle affection. Un respect réciproque mais toujours silencieux. Bouleversés dans leurs convictions et dans leur quotidien, c’est un grand vide que le soldat laisse derrière lui, après six mois passés avec eux. Et le drame de l’histoire, c’est que Werner croyait sincèrement, avant d’aller rejoindre ses amis à Paris, que la guerre contre la France permettrait de créer une Europe unie et amie. Et lorsque, désillusionné, il en apprend toute l’horreur, au lieu de se révolter, il décide, malgré cette belle rencontre, malgré tout, de rester fidèle à son pays.
« Le silence de la mer » sort en février 1942 dans la clandestinité, puis est adapté par l’auteur luimême pour le théâtre. Serge Dekramer, le metteur en scène, rend ici un hommage fidèle au texte et fidèle à la vision de Vercors lui-même (d’après son fils, venu voir la pièce en personne). Entre naturalisme et poésie, les personnages évoluent dans le cadre recréé d’une vieille maison de campagne française avec des vieilles photos de famille, une table à jardin, deux vieux fauteuils au centre, face à un feu de cheminée. D’ailleurs, le jeu sur l’espace scénique de la petite salle du théâtre du Nord-Ouest est intéressant et bien pensé. Serge Dekramer, dans le rôle de l’oncle, reste digne à la perfection; Mélanie Le Duc, qui interprète le rôle de la nièce, apporte à merveille toute la douceur, l’amour et l’empathie dont Joël Abadie a besoin pour nourrir son personnage (Werner), victime du silence, victime de sa fidélité envers son pays. Le comédien offre une véritable performance scénique dans son monologue (car la pièce s’apparente à un long monologue). Le statisme du décor, et des deux hôtes, comme prisonniers de leur quotidien, contraste d’ailleurs violemment avec les mouvements et déplacements exaltés de l’officier. Les scènes, perçues comme des tableaux, s’enchaînent par des longs noirs, plongeant le spectateur encore plus loin dans ces moments d’intimités volés, et dans la tragédie inexorable en marche.
Pour découvrir un texte fort et poétique. Et pour se remettre en question.

 

Rachelle Dhéry

 

 

Critique, parue sur le site Holybuzz, de la représentation du "Silence de la mer" du jeudi 8 septembre 2011 au Théâtre du Nord-Ouest

Vu avant que ce spectacle ne parte à Avignon, « Le silence de la mer » [1] était déjà impressionnant. Deux comédiens sur trois ont changé et le voilà encore mieux, ce qui était pourtant difficilement concevable !

« Le silence de la mer » fait partie de ces chefs d’oeuvre qui se sont immédiatement imposés. Vercors en avait lui-même prévu une adaptation théâtrale. Elle a la forme d’un monologue interrompu de silences dans une atmosphère qui ne peut être rendue que par un jeu quasiment muet de l’oncle et la nièce.

La version d’Avignon frappait déjà par sa sobriété et la solitude de l’officier allemand était très bien mise en valeur par la distance à laquelle il se heurtait. En même temps que sa noblesse rencontrait un écho muet dans le comportement distant mais pas hautain de ses hôtes. La seule ambiguïté tenait au fait que tout le monde ne connaissant pas le chant des partisans, on se demandait un peu pourquoi l’oncle reprenait en fin de pièce le pistolet qu’il avait déjà sorti de son tiroir, contemplé et remis en place deux fois. La pièce était déjà tellement bonne qu’elle a été vendue pour une tournée qui démarre dès les mois prochains alors que la règle générale est qu’on programme avec un décalage d’un an.

Pourquoi évoquer ce passé ? Parce qu’actuellement, après que les rôles des français aient été repris par d’autres interprètes, la pièce a trouvé le moyen de s’enrichir encore. Le rôle de l’officier, s’il dispense toujours autant d’énergie, laisse transparaitre à travers de subtiles modulations – et non plus seulement par le texte – l’exaltation, l’amour ou le désespoir qui sont les siens.

En face, les jeux de regards se sont multipliés, des yeux qui se baissent ou se lèvent au voile dans le regard en passant par un vrai langage amoureux muet, aussi retenu qu’expressif. Les changements infimes d’attitudes aussi, du cou qui se tend imperceptiblement à la lèvre qui s’entrouvre à l’écoute d’une intonation aimée... Dans ce contexte, le fait de reprendre une photo contemplée par l’officier et de la reposer image contre la table devient un geste d’une extrême violence. Et les deux seules répliques de l’un et l’autre au soldat aussi patriote qu’artiste (« Il est beau pour un soldat de désobéir à des ordres criminels » pour l’oncle, et « adieu » pour la nièce) prennent une portée d’autant plus grande qu’elles sont servie avec une intonation parfaitement en phase avec l’émotion qui circule sur le plateau à cette seconde même. Bref, cette interprétation est à la hauteur de l’oeuvre de Vercors.

 

Pierre François

 

Critique, parue dans l'Hebdo le Comtadin, de la représentation du "Silence de la mer" au Festival Off d'Avignon en juillet 2011

Le silence est-il une arme ? Ne rien dire peut être un acte de résistance. Vercors nous montre une voie possible pour s'indigner, ne pas se soumettre. Les trois comédiens Serge Dekramer, Joël Abadie et Séverine Cojannot interprètent avec brio cette nouvelle engagée. Le spectateur ne voit pas seulement une famille française obligée d'accueillir un soldat allemand mais un dialogue à propos des cultures françaises et germaniques. Derrière la toile de fond de la seconde guerre mondiale, une histoire d'amour impossible se dégage entre deux êtres. Cette pièce sur la désobéissance est une réussite!

 

Jonathan Barbier, de L'Hebdo le Comtadin

 



Critique de la représentation du "Silence de la mer" au Théâtre du Nord-Ouest dans le blog de Marie Ordinis (responsable de la chronique théâtre au magazine MONDE & VIE, membre du comité de rédaction de la revue littéraire Le Cerf-volant), avril 2011

Le décor est minimaliste mais chaleureux : une petite table ronde recouverte d’un gracieux napperon à l’ancienne, une autre, « de travail » comporte un tiroir, peu de sièges.
Assis, un homme âgé et une jeune fille occupée à broder ; on frappe trois fois à la porte, elle va ouvrir. Entre un homme en uniforme d’officier allemand qui se présente : Werner von Ebrennac (Clin d’oeil de l’auteur : un nom pareil, si tant est que Werner veuille dire Vincent et qu’Ebrennac dans cette France du Sud laisse penser que celui qui le porte descend de Huguenots français ayant émigré en Germanie pour cause de persécutions ). « Je suis désolé… Cela était naturellement nécessaire » : l’homme, un occupant, a reçu ordre de résider chez le vieil oncle et sa nièce. « Je me chaufferai quelques minutes à votre feu», mais « l’hiver en France est une douce saison ». «Maintenant j’ai besoin de la France, je demande qu’elle m’accueille », « les obstacles seront surmontés ».
Peine perdue : il n’y aura jamais de réponse, les hébergeurs forcés se sont d’un accord commun et tacite murés dans le silence apparent de la mer, mais la mer peut aussi piailler, mugir ou rugir, n’est-ce pas ? L’homme va tout leur dire de lui-même, de son père, grand patriote et qui aimait la France, de sa profession avant d’être mobilisé, de sa carrière de musicien, de son amour de la littérature française qu’il connaît parfaitement, de son interprétation des causes du conflit mais de ses espoirs et de son optimisme quasiment romantique : « De ceci il sortira de grandes choses ». Pendant toute la pièce la partie adverse restera muette mais le jeu des deux comédiens toujours face au public, ce qui ne pouvait être que le seul vrai parti pris, nous fait partager leurs émotions, leurs réticences et leur approbation de ce que dit cet hôte intempestif, et le déchirement dû à leur devoir de patriotisme. Soit : oui, l’homme semble sincère et généreux, mais non, nous ne pouvons pas admettre qu’il le soit, nationalisme oblige, et puis entre lui et nous, il y a tant de vies déjà gâchées et de destins amputés.
Musiques forcément harmonieuses avec toccatas, et chants militaires. Noirs et pénombres. Werner a compris qu’il fallait qu’il ôte son uniforme, et redevienne… peu importe. Chaque fois qu’il quitte l’oncle et sa nièce, il leur souhaite une bonne nuit. Il les quittera pour passer une semaine à Paris, dont il reviendra plus perplexe que jamais. La jeune fille est maintenant prête à admettre son honnêteté autant qu’à lui manifester son admiration et son adoration, lui cet homme mi-doutes et mi-convictions : «Mon Dieu montrez-moi mon devoir ». Werner tente de la prendre dans ses bras. Toc-Toc-Toc. C’est l’oncle.
Werner décide de rejoindre son armée en campagne, sur le front-Est de celle-ci, dont on sait qu’il est plus que dangereux.
Il tourne les talons, l’oncle et la nièce rejoignent la coulisse. Et nous autres les guettons à leur sortie de scène pour leur dire que nous avons vibré, et admiré leurs interprétations, vraies performances, mais surtout leur authenticité.