Critique publiée le 20 janvier 2014 dans "La Voix du Nord", rubrique Cambrai

"Le Silence de la mer" (2017)

Au théâtre de Cambrai, des silences qui en disent long...

Rarement on avait vu un public aussi bouleversé que celui qui assista, jeudi, à la pièce adaptée de la nouvelle de Vercors. Cette œuvre majeure qu’est « Le silence de la mer » est désormais aussi une réussite totale au théâtre.

Tout est dépouillement dans la mise en scène de Serge Dekramer qui incarne aussi le personnage de l’oncle : deux fauteuils Voltaire, une table, des chaises, un meuble bas et quelques photos de famille. Dans cet univers austère, un officier allemand a imposé sa présence à un homme et sa nièce. À travers des monologues prônant le rapprochement des peuples et la fraternité, il tentera, sans succès, de rompre le mutisme de ses hôtes dont le patriotisme ne peut s’exprimer que par ce silence actif. Un silence d’autant plus imposant qu’il était doublé d’une immobilité impressionnante… Le tout assorti d’une volonté inébranlable de ne pas regarder l’ennemi. Une réserve hostile qui restera constamment affichée pendant leur cohabitation. À commencer par celle de la jeune femme qui, telle une statue offrira un visage toujours fermé, impitoyablement insensible, un visage penché sur son ouvrage qui empêche l’occupant de contempler son regard lumineux. Pourtant, ce militaire allemand très cultivé, merveilleusement interprété par Joël Abadie, semblera approuver ce silence, symbole de hauteur digne dont la nièce est bien l’allégorie qu’il exalte. Au fil de ses interminables monologues, il n’aura de cesse de clamer son amour pour la culture française. Un amour qui, peu à peu, se portera sur la jeune femme et son discours élogieux sur le pays occupé passera explicitement à une déclaration d’amour délicate pour la nièce. Les regards complices entre oncle et nièce, les moindres tressaillements de l’un et de l’autre, les larmes qui roulent tout à coup le long d’une joue, autant de signes qui en ont dit long sur les états d’âme du vieil homme et de sa nièce. Jusqu’à ce qu’enfin, la parole se délie et que l’oncle, par deux fois, déclare : « Il est beau pour un soldat de désobéir à des ordres criminels… » Mais c’est une chose impossible pour ce soldat allemand qui, au contraire, a décidé d’aller au front. Manquant de tressaillir, la jeune femme (magnifique Séverine Cojannot que l’on retrouvera sur la scène cambrésienne mi-mars dans le rôle de Marie Tudor) lui fera alors l’offrande de la luminosité de son regard avant de lâcher un poignant « Adieu ». Un épilogue empreint d’une émotion puissante et intense, émotion exacerbée encore par cet hymne éternel de la Résistance qu’est le chant des partisans.

J.-P. L. (CLP)